Depuis le début du confinement, de nombreuses personnes ont décidé de s’exprimer par affiches et banderoles aux fenêtres de leurs maisons et appartements. Lorsqu’elle est revendicative, cette forme d’expression est pourtant mal vue et fait l’objet de contrôles de police allant dans un cas, à Toulouse, jusqu’au placement en garde-à-vue.
Le cas de Toulouse est particulièrement abusif : une habitante affiche à sa fenêtre une banderole reprenant un titre de Charlie Hebdo : « Macronavirus, à quand la fin ? ». Elle est placée en garde-à-vue, semble-t-il pour outrage à personne chargée d’une mission de service public, en l’espèce, outrage au Président de la République.
Poursuivre de la sorte une expression politique, syndicale ou revendicative relève pourtant de l’intimidation et porte atteinte à la liberté d’expression bénéficiant, en France, d’une protection renforcée.
Au regard de la loi de 1881 :
La loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la presse est une loi protectrice de la liberté d’expression.
Afin d’éviter les atteintes excessives à cette liberté, elle encadre strictement les poursuites judiciaires contre les personnes qui auraient injurié ou diffamé publiquement une personne ou une institution : les délais pour engager les poursuites sont restreints (3 mois), la procédure est encadrée d’un formalisme qui, s’il n’est pas respecté, entraîne la nullité des poursuites.
En outre, les peines encourues pour injure ou diffamation sont des peines d’amende et l’emprisonnement n’est pas prévu, sauf dans certaines matières (diffamation ou injure en raison de l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée).
Pour des infractions ne prévoyant pas de peine d’emprisonnement, la garde-à-vue n’est pas possible.
Si la loi de 1881 prévoit des infractions spécifiques pour ceux qui injurient ou diffament des personnes en raison d’une qualité publique particulière (fonctionnaire, ministre, élus…), dont le président de la République, ces infractions ne dérogent pas aux règles de procédure de toute diffamation ou injure publique. L’offense au Président de la République a, quant-à-elle, été supprimée en 2013 de sorte qu’une injure, un outrage ou une diffamation publique contre le président de la République relève des mêmes règles que celles protégeant toute personne chargée d’un service ou d’un mandat public.
Dans le dossier de Toulouse, la garde-à-vue aurait été justifiée par une possible infraction d’outrage, non public, à l’encontre d’une personne chargée d’une mission de service public. Cette infraction prévue par les dispositions de l’article 433-5 du code pénal prévoit une peine d’emprisonnement. Mais elle n’a pas vocation à s’appliquer en la matière, dès lors que la banderole est publique, c’est-à-dire qu’elle s’adresse à un public à titre de revendication ou de position politique, et non spécifiquement au chef de l’Etat.
Dans ces circonstances, afficher une banderole qui mettrait en cause le Président de la République, une ou un ministre du gouvernement, voire la ou le maire d’une commune, ne peut faire l’objet de poursuite que sur la base des dispositions de la loi de 1881, c’est-à-dire en saisissant un tribunal selon une procédure contrainte qui exclue, notamment, la garde-à-vue, la comparution immédiate et, d’une manière générale toute privation de liberté, qu’elle soit préventive ou punitive.
Reste la question de fond : les différentes banderoles affichées aux fenêtres contre le gouvernement ou le chef de l’Etat, critiquant leur politique, ainsi que les affiches et banderoles de manifestations ne sont que très rarement reconnues injurieuses ou diffamatoires.
La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire de l’affichette « casse toi pov’con » à l’encontre de Nicolas Sarkozy, a clairement réaffirmé la protection de la liberté d’expression.
Lorsqu’il s’agit « d’adresser publiquement au chef de l’Etat une critique de nature politique », ce qui pourrait d’ailleurs s’appliquer à tout membre du gouvernement, la Cour considère que les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ne laissent « guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression ».
« Sanctionner pénalement des comportements (…) est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les interventions satiriques concernant des sujets de société qui peuvent elles aussi jouer un rôle très important dans le libre débat des questions d’intérêt général sans lequel il n’est pas de société démocratique » (CEDH, 14 mars 2013, Eon c France, n°26118/10).
Que ce soit dans l’hypothèse toulousaine ou dans les autres cas de banderoles posées sur les façades contre lesquelles des pressions policières ou du parquet ont été exercées, ces agissements doivent être considérés comme disproportionnés et portant atteinte au principe de liberté d’expression.
Au regard du code de l’environnement :
La question de l’affichage des banderoles aux fenêtres au regard du droit de l’environnement est plus complexe.
En effet, afin de limiter les pollutions visuelles et la dégradation de l’aspect des façades, le code de l’environnement limite, voire interdit, les affichages publicitaires (articles L.581-1 et suivants et R.581-1 et suivants).
Même si elle n’a pas de vocation commerciale, la banderole politique, syndicale, et de revendication s’apparente à de la publicité, au sens où elle procède à la publication d’une information.
Elle est donc soumise aux mêmes dispositions du code de l’environnement que les autres publicités de nature commerciale.
La publicité est ainsi interdite sur un certain nombre de lieux qui bénéficient d’une protection particulière, par exemple :
- Immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques
- Immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque, sur arrêté du maire de la commune
- Dans les périmètres des sites patrimoniaux ou des monuments historiques
- Au sein des parcs nationaux
- En dehors des agglomérations
- Sur les arbres
- …
L’Observatoire parisien des libertés publiques a fait à ce sujet un point droit complet.
Outre ces interdictions, le code de l’environnement pose plusieurs conditions à l’affichage publicitaire sur les façades dont le non-respect pourra entraîner des sanctions administratives et pénales.
Une banderole posée sur une façade pour laquelle la publicité est interdite pourra faire l’objet, par le maire ou le préfet, d’une mise en demeure de suppression, avec astreinte et, le cas échéant suppression d’office aux frais de la personne responsable de la pose.
Si l’afficheur est locataire, le propriétaire, en désaccord, pourra lui-même demander aux autorités de police la suppression d’office de cet affichage : l’affichage en façade nécessite l’accord du propriétaire. Or, concernant les habitations collectives, il est rare que l’on soit propriétaire de sa façade (elle appartient à la copropriété).
Concernant les sanctions pénales, ces mêmes irrégularités pourront être sanctionnées d’une amende de 7500 euros, mais cette peine ne peut être prononcée que par une juridiction et non par verbalisation d’un officier ou agent de police judiciaire. Il existe également des peines de contravention de 3° ou 4° classe, par exemple si l’autorisation du propriétaire n’a pas été demandée pour poser la banderole ou, si cette dernière ne mentionne pas le nom et l’adresse de celui qui l’a posée.
On notera qu’une amende administrative comme pénale n’est pas, comme pour l’injure et la diffamation, une peine d’emprisonnement ; la garde-à-vue est en conséquence, ici aussi, impossible.
Précisons que ces sanctions ne sont pas applicables à l’affichage d’opinion lorsqu’il n’existe pas dans la commune des panneaux dédiés à cet affichage.
Les règles concernant l’affichage de publicité en façade sont toutefois d’une telle complexité qu’une ou un maire, une ou un préfet qui voudrait faire taire des opposants, pourra utiliser le droit de l’environnement à cette fin.
Mais, à notre sens, il s’agirait là d’intimidation et de manœuvres procédurières, c’est-à-dire une utilisation de la loi pour limiter la liberté d’expression alors même que son objet est la protection de l’environnement.
Les dispositions du code de l’environnement ne sont prévues que pour protéger l’environnement. Concernant l’affichage elles visent à éviter les pollutions visuelles, notamment la multiplication des publicités commerciales sauvages.
Elles n’ont pas pour objet de limiter la liberté d’expression. Ce serait d’ailleurs contraire au principe même posé par l’article L.581-1 du code de l’environnement en préalable aux dispositions règlementant la publicité :
« Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions du présent chapitre. »